Chanel en est l’un des exemples les plus probants. À l’opposé des studios-laboratoires voués aux nouvelles tendances de la création se sont constituées de grandes marques internationales qui ont substitué leurs produits de masse à celui des gros confectionneurs d’avant-guerre. On remarquera tous les accessoires de mode comme les chaussures de ville comme de sport, les sacs à main, les bijoux fantaisie, les cosmétiques…
À ceci près que la plupart de leurs fabrications sont aujourd’hui délocalisées vers des pays du tiers-monde, où la main-d’œuvre est la moins chère.
De la création à la sous-traitance
Ces marques, en Europe ou aux États-Unis, se chargent d’élaborer, généralement sous la conduite d’un Styliste phare, un concept global, un univers lié à cette marque. Elles s’adressent précisément à telle ou telle tranche de consommateur à grand renfort de publicité. Outre le stylisme du produit, sa communication médiatique contribue désormais à part entière à son succès et à sa personnalisation. Là où les grandes maisons consacraient hier quelque 2 % de leurs budgets à des investissements publicitaires, ce sont aujourd’hui 25 % que les grandes marques consacrent à ce secteur.
La naissance d’une production de masse
La plupart des stylistes agissent en fait comme de véritables directeurs artistiques, moins préoccupés de création proprement dite que d’homogénéiser les différentes données d’une chaine de production et de distribution. S’observant les unes les autres, réagissant aux mêmes données, suivant les mêmes conseillers en style, en marketing, en communication, ces marques sont menacées par une banalisation qui risque, à moyen terme, de lasser leur audience. Hier une fête, la mode à l’aube de l’an 2000 est devenue big business, un colosse aux pieds d’argile, n’en déplaise à ses investisseurs internationaux, puisque le matériau même de la mode est liquider fusible, insaisissable. Il prend la forme du contenant qui le recueille. Avant de s’évaporer. De se transvaser dans d’autres moules tout aussi imprévisibles que les précédents.
La finance maîtresse du jeu de la mode
La pression financière qui n’a cessé de s’accentuer depuis dix ans pénalise l’éclosion de nouveaux talents. Elle rétrécit la marge d’intervention des stylistes en place. Derrière leurs doubles vitrages, les banquiers observent d’un œil inquiet ce champ de girouettes. Dans quel sens demain le vent les fera-t-il tourner ?
Yohji Yamamoto et la mode
Révélés à l’Europe de la mode au milieu des années quatre-vingt, l’art et la manière particulière du maitre japonais se sont magistralement affirmés en cette fin de siècle, atteignant une maitrise absolue à travers les propositions avant-gardistes dans lesquelles se perçoivent des références au grand style de la couture parisienne. Prise de position sinon agressive, un Japonais d’un tel raffinement ne le pourrait, mais du moins très ferme, Yohji s’est très clairement démarqué du style sexy pour femme fatale qui imprégné toute l’allure des années quatre-vingt. Chaste, réservée, affichant une neutralité de façade, la femme selon Yamamoto ne se révèle que peu à peu. Cette bombe est à retardement.
La reconnaissance se fait attendre
Elle mettra longtemps à imposer ses formes amples, ses souliers plats, ces vissages délavés et exempts de tout maquillage apparent. L’effet n’en sera que plus dévastateur sur tout un pan de la mode actuelle. Conscient de l’originalité de sa vision très personnelle du vêtement, Yohji n’hésite pas à revisiter ses classiques, offrant la synthèse d’un passé parfaitement intégré à une vision prospective de la mode. Visionnaire mais d’une élégance constante, son travail réconcilie les grands contraires… La folie et la fonction, la séduction et la réserve, l’érotisme et la pudeur. En cette fin de siècle, c’est ce Japonais qui exprime la quintessence de l’esprit couture.